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Ginevra Collini

Avril 2025  

Dans le cadre du programme Nouveau Grand Tour 2025.

Ginevra Collini est une artiste visuelle établie à Rome. Après une formation très académique en peinture, elle a commencé à expérimenter la performance et la sculpture. Elle suit actuellement le programme DAI, au sein duquel elle développe une pratique communautaire qui se passe d’autorité. Sa recherche ne se fonde pas sur un sujet mais plutôt une méthodologie, celle du “débutant absolu” : aborder un sujet comme si on le découvrait, laisser toute forme de question faire surface comme si elle était absolument cruciale, remettre en question les actions et pensées que l’on prend aisément pour acquises. C’est un processus de questionnement constant de soi-même, tout en demeurant confiant en nos croyances. A travers lui, elle se donne l’opportunité d’explorer de nouveaux sens éparpillés.


À partir d’expériences intimes et personnelles, elle cherche à comprendre en profondeur le langage et les visions collectives, renversant les sens habituels pour mettre en lumière de nouvelles visions. De manière totalement désintéressée et en apparence désinvolte, elle puise dans des éléments de sa vie. Entourée d'objets et de mots sans lien logique, elle permet à l'esprit de dissoudre les connexions entre les objets et leur contexte d'origine.


"Ma pratique a pour but de visualiser l’objet questionné comme si je le voyais pour la première fois, amenant à la surface des présupposés qui paraissent évident mais sont de fait dictés par l’habitude. Je suis curieuse de découvrir et comprendre ce que nous interprétons d’un espace qui pourrait en fait être transformé.

Récemment, j’ai exploré certaines formes de langage qui défient les catégorisations et peuvent émerger en tant qu’actions politiques, surtout lorsqu’elles n’ont pas encore été soumises à la censure.

Je compte travailler avec différents médiums et personnes afin de créer des outils qui expriment un éventail de besoins et résultats. Mon but est d’utiliser des matériaux du quotidien - y compris le langage - pour explorer de nouveaux modes d’expression. Dans mon projet “It Takes Two To Tango”, nous avons créé des drapeaux à partir de nos émotions et les avons placés dans des contextes où les drapeaux sont typiquement utilisés, tels que les devantures d’institutions, les drapeaux aperçus lors de visites touristiques, ou ceux utilisés pour les jeux de “Capture du drapeau”. Je veux continuer à expérimenter ainsi, en cherchant des objets qui peuvent être utilisés dans de multiples contextes.
Ginevra Collini


CONVERSATION


F comme ?

Fantasme, je viens à peine de connaître l'existence de ce mot.


Quelle est la genèse du projet ?

Le projet a débuté en 2022, à partir d’un rapport intime et intense à mes rêves. À plusieurs reprises, j’ai fait l’expérience de la paralysie du sommeil — un état où le corps ne répond plus, accompagné d’hallucinations troublantes. En menant des recherches, je suis tombée sur des interprétations évoquant la présence de démons. Pourtant, dans ces moments suspendus, il ne se passait rien de véritablement menaçant : ces présences semblaient être là pour veiller, presque bienveillantes, comme si elles tentaient de me protéger dans mes instants de vulnérabilité.

C’est à partir de là que j’ai commencé à les chercher, à leur chercher un lieu.

Le projet a véritablement pris forme lors d’une résidence en Italie, dans le Piémont, au cœur de terrains privés marqués par une nature recomposée. Une étendue de vignes se déployait en contrebas, visible depuis les hauteurs. C’est dans ce paysage que j’ai initié une performance où je devenais une créature, qui, par nécessité était au-dessus des vignes, elle était parfois visible, parfois à peine perceptible. À travers elle, je cherchais un territoire, une identité. L’enjeu était de lui donner une forme d’humanité, de légitimer son existence, presque de la rendre utile. Comme si ce geste performatif pouvait faire exister ce qui échappe, d’ordinaire, à la reconnaissance.


Pourquoi le 3 bis f pour ce projet ?

Là où je vis, je suis profondément liée à ma communauté. C’est un ancrage fort, presque organique. Mais j’ai ressenti le besoin de me confronter à un lieu qui m’était étranger, de me détacher de mes repères habituels pour explorer autrement.

La fonction du jardin du 3 bis f me fascine. Je l’imagine comme une sorte d’utopie tangible — un espace à la fois ancré dans le réel et ouvert à l’imaginaire. Un lieu qui semble contenir plusieurs temporalités, où passé et futur cohabitent, se frôlent, se confondent parfois.


Comment travailles-tu ?

Je m’inspire fortement de la Méthode « Absolute Beginner », une approche qui encourage à travailler la matière sans aucun savoir-faire préalable. Cela me permet d’entretenir un  

rapport direct, instinctif, presque naïf aux matériaux. Ma pratique sculpturale se construit dans cette ouverture : j’expérimente avec des matières très diverses, en me laissant surprendre par ce qui semble, au premier regard, banal ou insignifiant.

À la manière d’un scientifique, j’observe, je questionne. Non pas uniquement ce que je fais, mais aussi ce qui est en train d’advenir, ce qui émerge entre les gestes et la matière.

Je ne hiérarchise pas les matériaux : chacun possède une potentialité propre. L’écriture, bien qu’invisible dans les formes finales, joue un rôle central dans mon processus. Elle structure ma pensée, guide mes expérimentations, nourrit la logique interne de mes gestes.


Comment cohabites-tu avec ta folie ?

Très bien, j'ai confiance en mes doutes. Je cherche à ne pas la freiner, elle m'aide à concilier, compenser et m'apporte une grande introspection que j'ai ensuite besoin de communiquer à l'extérieur.


Un livre, un film, un podcast avec lequel tu arriveras peut-être en résidence au 3 bis f ?

Je suis arrivée avec un film et plusieurs livres, comme une promesse faite à moi-même : celle de prendre enfin le temps de regarder et lire ce que j’avais longtemps mis de côté.

Il y a quelques jours, j’ai regardé Deserto Rosso de Michelangelo Antonioni. Ce film, qui fait partie de sa trilogie sur l’incommunicabilité, m’a profondément marqué. D’une densité rare, il m’a laissé sonnée. Pourtant, je l’ai reçu comme un rêve — un film traversé par la question de la folie, où Monica Vitti incarne un personnage submergé par l’angoisse. Je l’ai vu dans un moment de fragilité, et il m’a paradoxalement apaisé. Comme si, à travers cette vulnérabilité, un espace de calme s’ouvrait.

J’ai aussi commencé Recognizing the Stranger : On Palestine and Narrative d’Isabella Hammad. Un ouvrage qui interroge le rôle de la narration, non seulement dans la littérature, mais au cœur même du réel. Une réflexion précieuse sur la manière dont les récits façonnent nos perceptions, nos identités, nos territoires.

Et puis, il y a cette phrase de Pier Paolo Pasolini qui m’accompagne, comme un écho intérieur:

"Perché realizzare un’opera quando è così bello sognarla soltanto ?"

"Pourquoi réaliser une œuvre, quand il est si beau de seulement la rêver ?"



Ginevra Collini - Gabiru
Mardi 22 et jeudi 24 avril à 14h
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