
Compositrice, improvisatrice, violoncelliste interprète, et chercheure, Soizic Lebrat a suivi une formation de musicienne interprète classique et d’historienne de la musique. Elle conçoit des projets de recherche-création en musique, tels que Radiophonium au sein duquel elle développe un dispositif de captation binaurale pour révéler l’écoute.
Attentive à la rencontre, elle affectionne les collaborations musicales et transdisciplinaires, avec de nombreux musicien·nes, danseur·ses, poètes, écrivain·es, plasticien·nes, artistes sonores. Invitée dans de nombreux festivals et scènes de musiques jazz, improvisées, contemporaines, elle joue en solo (Bleu Solo, Solo Suite, Tendre est l’instant qui se tend), duo (Nakamura Lebrat), trio (Duthoit Oshima Lebrat), quatuors à cordes (Lebrat Genthon Bosshard Schwab, Brac) et au sein de grands ensembles (Le UN, Grand8).
Avec Bach to 3D, Soizic Lebrat propose une composition singulière, hybridée, inspirée de la première suite pour violoncelle seul de Bach, œuvre universelle et intemporelle. Sur scène, trois violoncellistes et une danseuse preneuse de son.
Équipés d’un casque, les spectateur·ices sont plongé·es dans un dispositif sonore immersif. Atomisée, démultipliée, prolongée, déstructurée à la manière cubiste, la partition familière de Bach se réinvente au creux de nos oreilles, révélant peu à peu une œuvre nouvelle. Une expérience d’écoute intime et singulière.
Grâce à un dispositif de jeu et d’écoute innovant, Bach To 3D intègre la mise en espace du son par le corps en mouvement des trois violoncellistes et de la danseuse. Cette démarche renouvelle ainsi radicalement l’approche interprétative de l’œuvre de Bach, procurant au public de nouvelles sensations auditives d’immersion en trois dimensions.
CONVERSATION AVEC SOIZIC LEBRAT
1) F comme ?
Fragmenté. J’aime dire que Bach to 3D est une réinterprétation cubiste de Bach : la partition finale entendue par les spectateur·ices est le résultat d’une écoute en mouvement captée par la danseuse et retransmise aux casques du public. Il s’agit d’une chorégraphie de l’écoute, si l’on veut, qui permet de spatialiser le son.
2) Quelle est la genèse du projet ?
Bach to 3D est issu du cycle de recherche-création intitulé Radiophonium.
Je souhaitais mettre en son ma posture d’écoute. Observer comment j’écoutais. Faire entendre comment j’écoutais. J’ai donc mis mon écoute sur écoute avec l’espoir de percer un peu de ce mystère de l’écoute, et ça a donné Bach To 3D.
Techniquement, c’est grâce à la captation binaurale du son, en mettant des micro-miniatures dans mes oreilles, que j’ai pu avoir un accès différé à mon vécu auditif. Et c’est bien ce vécu auditif de l’instant, fixe ou en mouvement, que j’ai cherché à comprendre et à révéler.
Ensuite, en partant de l’hypothèse que l’oreille reste l’organe moteur dans mes logiques d’écritures sonores, j’ai souhaité intégrer cette nouvelle dimension dans mes compositions musicales et sonores instrumentales, dimension peu explorée par les compositeur·ices.
Dans Bach To 3D, j’ai pu ainsi développer un écriture musicale centrée sur le point d’écoute des performeurs et interprètes et proposer aux spectateur·ices d’entrer dans l’intimité de l’oreille de la danseuse - performeuse – preneuse de son.
3) Pourquoi le 3 bis f pour ce projet ?
C’était une proposition du GMEM de Marseille que Bach to 3D soit diffusé ici, et c’est avec joie que je découvre la rigueur du projet politique et esthétique du centre.
Il rencontre mes propres tentatives de patience et de rigueur dans mon geste.
Le temps long et l’ouverture aux formes hors normes sont des colonnes vertébrales de mon travail.
4) Comment travailles-tu ?
Depuis presque dix ans maintenant, je travaille toujours à partir de cycles de recherche-création, qui se déploient sur un temps très long (j’ai mis huit ans pour parvenir aux créations issues de Radiophonium).
Cela me permet de vivre autrement les impératifs de production, en gardant ouverte la place pour la surprise, l’errance, la gratuité des gestes.
Au cours de ces cycles, des formes naissent, parfois éphémères, parfois rejoignant mon répertoire.
Cette manière de travailler rend possible à la fois le fait d’expérimenter des idées provisoires, tout en rencontrant le public, pour qu’on recueille des impressions et qu’on fasse intervenir aussi d’autres professionnels (scientifiques, psychoacousticien·nes, artistes, chercheur·ses…) pour tenter de nouvelles hypothèses…
Le temps long nous permet aussi de développer des outils adaptés à nos besoins techniques – pour la captation binaurale faite par la danseuse dans Bach to 3D par exemple.
5) Comment cohabites-tu avec ta folie ?
J’ai une approche assez matérialiste dans mon travail, que ce soit dans mon rapport au féminisme, à la création, et donc à la folie…
Je peux donc m’intéresser aux conditions matérielles pour qu’elle soit le plus facile à vivre dans la société (plutôt que de comprendre ce qu’elle est, ou comment elle m’habite potentiellement ou pas).
En ce sens, je ressens une grande proximité avec le travail du 3bisf.
6) Un livre, un film, un Podcast avec laquelle tu arriveras peut-être en résidence au 3 bis f ?
Je travaille actuellement à mon prochain cycle de recherche-création, intitulé Auscul(p)ter autour des gestes de douceur (donc par extension du « presque pas audible »).
Un des livres que je lis régulièrement c’est De la liberté. Quatre chants sur le soin et la contrainte de Maggie Nelson.
Une des idées qui m’intéresse particulièrement dans ce livre est celle d’un espace qui ne serait pas nécessairement pur, parfait, indemne de toute toxicité, mais qu’on choisit comme une pratique de liberté.