Un centre d’art et une fabrique des arts vivants dans un espace d’hospitalités

Menu

ARTISTES EN RÉSIDENCES

Darius Dolatyari-Dolatdoust

Résidence de création | Novembre 2024 et mars 2025  
Daniela Ometto

Darius Dolatyari-Dolatdoust est un artiste performeur, chorégraphe et designer français d’origine irano-germano-polonaise. Patchworks et kilts, feutres et peintures, photographies et vidéos, costumes et performances : il utilise une pluralité de supports et de formats. S’inspirant également de sa quête des origines, en puisant notamment dans la culture persane, il construit une relation entre la danse et ses créations textiles. Les costumes colorés, pièces centrales de ses créations chorégraphiques, s’activent le temps de la performance. Il bouscule ainsi nos perceptions pour mieux saper les conventions sociales établies et réorganiser le réel en l’articulant au passé. Il invente un paysage utopique et nous ouvre sa fenêtre, pour partager la vision d’un monde différent.       



  • F comme ? 

F comme fécond.

Comme un lieu assez rare dans le travail où les artistes, souvent précaires, trouvent un temps de résidence précieux, de pause, avec de bonnes conditions de travail. La création artistique se laisse à elle-même, se laisse du temps. Il est important pour moi de dédier des temps spécifiques à la recherche, notamment chorégraphique. Il y a beaucoup de candidatures et peu d’espace. Le temps de résidence est important, c’est le temps de l’erreur et de l’interrogation. Le temps d’échange avec le public est intéressant pour confronter mon travail. La création est féconde. C’est aussi un espace de collaboration.


  • Quelle est la genèse du projet ?

Les 2 projets Dressing et Silhouette parlent de la même chose. Ma recherche est basée sur la question : comment le costume est-il intrinsèquement chorégraphique ?

Depuis le début je crée les costumes en amont, et l’écriture chorégraphique ou performative naît du rapport entre le costume et le corps, dans les contraintes qu’il créée, dans les espaces d’amplification, dans les augmentations du corps. C’est la base de mon travail à partir du vêtement.

Pour Dressing, c’est voir se construire une silhouette au plateau. On va rassembler chacun.e 20 morceaux de vêtements qu’on va mettre les uns au-dessus des autres pour créer une sorte de créature. Il y a un travail autour de la grimace pour amplifier le processus. Comment le costume va-t-il créer des réactions que le corps va produire ? Souvent moins humain, grâce au costume, moins cérébral, plus animal, ou plus végétal selon le moment. Le costume me permet d’aller à ces endroits de recherche.

Pour le travail de Silhouette, je pars de vêtements de seconde main et j’essaie de voir quel est leur potentiel d’imagination. Des silhouettes dans l’espace, pas toujours activées, avec des scénarii d’activation perceptibles. L’humain s’habille depuis toujours et ça dit beaucoup de nous, cela raconte beaucoup de notre identité, de notre rang social.

Je m’intéresse au lien fort entre arts visuels et art de la scène, comment l’un nourrit l’autre, sociologiquement, philosophiquement, en lien avec la mode.

Silhouette est issu en même temps d’un projet initié au festival actoral dans le cadre de l’exposition Fashion Folklore, où il s’agissait d’activer les pièces d’archives du Mucem, des vêtements qui sont des objets en cours d’étude. Je les ai activés et c’était très fort pour moi d’activer des vêtements conçus pour le corps, mais qui d’une certaine manière, lorsqu’elles sont pièces d’archives ne sont plus portées par des humains, mais par des mannequins rigides. J’étais entourée par des silhouettes complètement mortes et moi j’activais les costumes. Silhouette est donc la suite logique de cette réactivation d’objets qui ont eu une vie habitée par d’autres corps.


  • Pourquoi le 3 bis f pour ce projet ?

Mon travail parle du corps, des corps différents, des corps qu’on peut imaginer ou réinventer. En tous les cas pour moi, le vêtement interroge notre identité, la possibilité de recréer, à l’image du carnaval, des shifts, des changements sociaux, de passer d’un corps invalide à un corps valide, restituer les corps oubliés.

Le fait d’avoir travailler au LBO (centre d’art dans un Ehpad, à Chambéry), ca a été hyper intéressant de confronter ma pratique à des personnes que je n’ai pas l’habitude de rencontrer. Le textile pour moi à cette sensibilité, comme un jeu, c’est une matière en commun pour raconter des histoires.

Pour Dressing, comment le costume permet-il de rentrer dans un personnage ? ça fait du sens au 3 bis f de confronter des personnes qui ont peut-être plusieurs visages, plusieurs personnalités qui demandent à être activer. Peut-être je réalise un travail qui se rapproche du clown, de la grimace, du grotesque. C’est intéressant de travailler sur comment on représente une émotion ? Ou comment on peut feindre l’émotion ? Ce serait intéressant d’avoir le regard et de pratiquer avec les patients en parcours de soin autour du 3 bis f.

Pour Silhouette : il y a quelque chose qui pourrait se dessiner autour de la pratique de la broderie : créer des sortes de mannequins en toiles à patron ou ouatinés, broder des visages, poursuivre le travail sur l’émotion, sur ce qu’on sent aujourd’hui et voir l’impact des masques sur les personnes. Au Japon, au théâtre Nô, un même masque peut capter plusieurs émotions en fonction de l’éclairage, en fonction de la lumière.

Je suis également très animé par ce double champ de recherche à la fois en danse et en arts visuels. L’un nourrit l’autre. Il y a peu d’espace qui permettent ce croisement et partagent cette affinité.


  • Comment travailles-tu ?


Je travaille d’abord autour de la matière qui est le début de la création (créer des costumes, créer des formes, créer des éléments de scénographie) et après je confronte cela au corps, souvent avec d’autres performeur.euse.s. Je me mets souvent à leur place, avec elle.ux. J’arrive avec un cadeau qui sont les costumes et ensemble on va chercher des potentiels chorégraphiques, confronter le costume, avec l’activation des corps. Il y a tout un travail de recherche iconographiques, de dessins et ensuite de création textile qui devient la matière première du travail de création, le début de la recherche.

Je considère les costumes comme les chorégraphes. Puis, il y a les ateliers d’improvisation avec des images, des phrases chorégraphiques testées ensemble.

J’ai un travail plus performatif que chorégraphique avec la conscience d’être ensemble, à ce moment-là. Un moment qui se rejoue à chaque fois et qui s’adapte aussi avec les spectateur.ice.s dans le cadre de l’instant.

Il y a de l’écrit chorégraphique, mais je dis souvent aux performeur.euse.s d’oublier le dirigeant qu’on est pour laisser place à l’émotion.  

On commence toujours les performances par se mettre à nu donc il y a pour moi toujours ce rituel d’enlever ses vêtements, enlever le costume de Darius pour devenir performeur. Il y a à chaque fois un rituel qui permet une rencontre avec le costume, qui permette de se rhabiller, redécouvrir la texture du costume. Ça relance à chaque fois le vrai moment de performance.


  • Comment cohabites-tu avec ta folie ?


Plutôt bien, je l’accepte, je l’embrasse. C’est une folie créative. Je parlerai de générosité, de curiosité. Je suis passionné, je parlerai de couleurs, des formes. C’est quelque chose que j’embrasse volontiers et de manière assez simple.


  • Un livre, un film, un Podcast avec laquelle tu arriveras peut-être en résidence au 3 bis f ? 

J’ai fait beaucoup d’étude, mais me suis souvent arrêté au bachelier car j’ai un peu vagabondé et travaillé comme danseur avec Ligia Lewis basée à Berlin, et donc je n’ai jamais écrit de mémoire sur les questions qui me traversent. Même si j’ai récemment fait une conférence sur les costumes. J’ai l’ambition de m’inscrire un jour en master à l’EHESS (sur l’histoire de la mode, sur l’histoire de la danse).

J’envisage donc d’arriver au 3 bis f avec une pile de livres et de prendre le temps de lire des ouvrages sur le vêtement, sur son histoire, ses aspects historique et sociologique.